Propos d’Alain : libraire, pour dire les valeurs auxquelles je crois.

  • Publication publiée :25 juin 2017
  • Post category:Archives
Alain Fievez, en pleine action «Conteur» (2016)

Dans le n°40 de Citrouille (2007), Alain Fievez, alors libraire à Tours et président des Librairies Sorcières, expliquait pourquoi il avait créé une Librairie Jeunesse plutôt qu’une salle de sport…

1980.  J’ai abandonné la recherche en Science Politique pour créer une librairie spécialisée jeunesse. Il y aura une période de chevauchement: travail le week-end sur la thèse soutenue le 2 décembre 1982 et le travail du libraire du mardi au samedi…

Une librairie jeunesse, pour moi, c’était d’abord une mise à disposition de l’enfant d’un espace à sa mesure et répondant à ses désirs, aves des livres à sa portée et possibilité de les regarder, de s’asseoir pour lire une histoire, avec le respect de son rythme de vie. Prévoir l’accueil des parents avec poussettes et landaus…

C’était expliquer qu’il n’y a pas de linéarité dans la lecture… Grandir, aimer lire, ce n’est pas avaler de plus en plus de pages: un texte court peut être plus riche et plus marquant qu’un roman de 600 pages… La lecture n’est pas une course de vitesse. Prendre son temps à détailler une illustration enrichit la lecture, développe la compréhension, donne plus de sens au livre…

Au lecteur qui prend plaisir à retrouver les mêmes personnages dont il connaît les particularités, à parcourir les mêmes paysages et à vivre les mêmes situations (dans les séries par exemple), je proposerai de découvrir de nouveaux mondes, de vivre des rencontres inattendues, de s’immerger dans des ambiances inconnues… Seule la variété des livres permet cette découverte… Promouvoir des lectures variées, affirmer qu’il n’y a pas d’âge pour découvrir tel ou tel livre, inciter à la rencontre de multiples imaginaires, répondre «aux attentes non formulées» de ceux qui n’aiment pas lire…

J’allais encourager le travail des salariés de l’Association locale Livre Passerelle pour lire PARTOUT (dans les salles d’attente des centres de PMI, dans les rues, dans la salle d’attente d’une maison d’arrêt), pour lire AUX JEUNES ENFANTS (dès 4 mois), pour lire à des familles PEU HABITUÉES aux livres…

Bien sûr, réagir avec sourire aux demandes de livres pour filles de 8 ans et garçons de 12 ans. Expliquer que garçons et filles peuvent, avec intérêt, lire les mêmes livres, les différences de sensibilité ou d’intérêt ne sont pas liées au sexe du lecteur… Bien-sûr aussi: ne pas hésiter à critiquer la mise en place de défi-lecture ! Sous prétexte de stimulation du désir de lire, on transforme la lecture de chacun, personnelle, librement interprétative en données objectives où chacun aurait mémorisé les noms de lieux, les prénoms, la couleur des yeux des personnages. Introduction de caractéristique compétitive qui n’ont rien à voir avec l’acte de lire sinon valoriser la compétition elle-même…  Et à ceux qui vanteront, dans les livres ou dans la vie, la chaleur de la solidarité d’une équipe, je n’oublierai pas de rappeler les mécanismes d’exclusion de ceux qui n’ont «pas le niveau»…
Toutes ces pratiques relèvent d’une philosophie de vie où la compétition n’a pas sa place… Ce métier de libraire jeunesse, si on le souhaite, permet de vivre des relations humaines agréables hors de tout stress de performance. Il n’est assurément pas le seul. Mais il est le mien, celui que j’ai choisi pour dire les valeurs auxquelles je crois.

Alain Fievez, librairie Libr’enfant