Chère Madeline, (part 1 -L’Été de Léa, éd. Sarbacane) – par la librairie Rêv’en pages

Madeline Roth écrit. Depuis longtemps. Elle a d’abord écrit en secret, puis publiquement. Et ses premiers lecteurs inconnus furent ceux, vite fidèles, de sa chronique dans Citrouille… Cyril Malagnat n’était pas encore libraire. Il était étudiant. Et il fréquentait la librairie L’Eau Vive à Avignon. Celle où travaille Madeline, depuis longtemps. C’est même là que, dans la tête de Cyril, a germé l’idée de devenir libraire. Aujourd’hui, il l’est, à Limoges. Et il tient une chronique, dans Citrouille. Dans celle-ci, après avoir lu les deux premiers romans de Madeline, L’Été de Léa (éd. Sarbacane) et À ma source gardée (éd. Thierry Magnier), il lui écrit.

Ça commence comme un rêve d’enfant. Ou plutôt une chanson de Louise Attaque. Léa… Léa c’est un mystère, palpable. On entre par sa porte, on le pèse, on le sent, planant, dès les premières lignes. Très vite on perçoit tout le poids du secret. Un de ceux que l’on garde pour soi – c’est là le propre d’un secret. Même si celui-là, on a terriblement envie de le partager avec la terre entière. Mais on sent bien qu’après, ça ne serait plus pareil. Il serait tout de suite moins beau, moins pur, moins précieux. Pourtant, partager ce truc qui vous pique le cœur et dont on ne sait plus, finalement, si c’est du plaisir ou si ça fait mal, ça le soulagerait peut-être, Théo… Les mots de Madeline Roth servent d’écrin à une belle histoire entre deux enfants qui croisent pour la première fois ce sentiment qui, ils ne le savent pas encore, va gouverner leur existence. Parce que derrière ce joli secret, il y a aussi de jolis mots…

Ça y est, il va falloir que je dise quelque chose sur quelqu’un que j’admire et qui est un peu liée à ma jeune carrière de libraire. Sans doute le truc le plus dur qui me soit arrivé pour une chronique. En plus, c’est certain, celle-là de chronique, il va y avoir du monde pour la lire. J’aurais mieux fait d’écrire une lettre, quelque chose de très personnel. Du genre… «Chère Madeline,…». Aïe. Tout ça va paraître un peu décousu. Et puis si je fais machine arrière, c’est foutu, et j’ai vraiment envie que cette chronique sonne vrai. D’ailleurs, une fois n’est pas coutume, je l’ai d’abord couchée à la main sur mon carnet. D’un trait. Si vite que j’ai d’ailleurs du mal à me relire…

Chère Madeline, (voilà que ça me reprend)… Finalement, tu as exaucé notre rêve à tous, et pour couronner le tout, pas chez n’importe quel éditeur. Je te le dis, tu vas forcément faire des jaloux chez un tas de libraires sorcières, moi le premier. Mais je suis sûr qu’au fond, ils seront tous aussi fiers que moi. Fiers parce que tu es l’une des nôtres et sans doute plus que cela. Un peu de l’âme de cette association de libraires indépendants. Fiers aussi parce que nous, les libraires, on a parfois l’impression qu’on est juste un maillon de cette fameuse chaîne du livre. Grâce à toi, on peut se plaire à penser que nous ne sommes pas qu’un simple maillon, mais peut-être bien la clef. Fiers enfin, car dans ce livre-là, tu as trempé ta plume dans l’encrier des fées qui se sont penchées un jour sur le berceau de la littérature jeunesse en lui dessinant un avenir prometteur, tant qu’il y aura des enfants pour rêver et des rêveurs pour écrire. D’ailleurs, il faut moi aussi que je choisisse «un morceau choisi». C’est la règle dans cette rubrique. Ça aussi ça va être «coton». Car des phrases comme j’aime, il y en a plein ton livre. Mais ma préférée, c’est peut-être bien celle-là: «Elle a souri tellement que ça brillait partout, dans ses yeux, sur ses dents, ses cheveux.»

Bon, il faut que j’en revienne à l’histoire, car c’est le cœur du sujet… C’est l’été. Léa aime Théo, qui aime Léa et qui ne le dit pas. Léa non plus ne dit rien. C’est leurs yeux, leurs mains, leur cœur qui parlent: une langue qu’ils ne comprennent pas encore. Oui mais voilà, Théo est le cousin de Léa et vice et versa, évidemment. Le seul qui est au courant de ce secret pas partagé, c’est le vieux cerisier. Et ça a de la mémoire un vieux cerisier… Ce livre, c’est d’abord un amour impossible et des enfants qui tournent autour. C’est aussi l’histoire d’un petit gars avec les cheveux en broussaille – on devrait toujours se méfier des petits gars avec les cheveux en broussaille. L’histoire de vacances, d’enfants qui picorent la vie, et de sentiments qui leur échappent – comme ils nous échappent encore à nous les grands, des années après. Des jeux interdits: thème peu abordé par la littérature jeunesse et que Madeline esquisse avec une vraie poésie et un regard tendre posé sur deux amoureux, à l’aube de l’adolescence, qui devinent à peine les réponses à leurs questions.

C’est beau comme un été, intense et fugace comme un baiser volé, qui laissera à jamais comme une jolie cicatrice. Oui, c’est ça, ici, juste à gauche.

[part 2 de cette chronique, consacrée à À ma source gardéeici]

Cyril Malagnat, librairie Rêv’en pages à Limoges


L’Été de Léa – Madeline Roth – éditions Sarbacane – Date de parution : janvier 2015