Comme toujours au Petit Pantagruel, les liens se tissent autour de coups de cœur, de rencontres qui viennent bouleverser le train-train de nos habitudes et ouvrir nos horizons. Voilà comment Alison Allard, créatrice du podcast Maternelle dégenrée et des ateliers Cocose, a débarqué dans la librairie, l’air humble mais sûre de son propos, pétillante et pleine d’enthousiasme, nous annonçant tout simplement qu’elle voulait contribuer à mettre fin aux stéréotypes de genre dès la maternelle ! Une grande aventure qu’elle nous raconte aujourd’hui.
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Propos recueillis par Gwendolyne Derode, librairie Le Petit Pantagruel, Marseille / Article publié dans la revue Citrouille, n°96, décembre 2023, dossier Questions de genres.
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Alison Allard, qui êtes-vous ?
J’ai 30 ans et je suis belge. Ma nationalité est très importante dans mon cursus car en Belgique les études pour devenir instituteur·rice sont différentes. J’ai toujours été passionnée de pédagogie et j’ai d’ailleurs effectué un master en Sciences de l’éducation. J’ai enseigné en Belgique et au Maroc, dans une école belge. Puis le besoin de soleil ne m’a plus quittée, raison pour laquelle je suis installée à Marseille depuis 4 ans !
En 2020, le confinement m’a permis d’avoir un vrai temps d’analyse de mes pratiques pédagogiques. J’ai alors réalisé que j’étais imprégnée d’idées féministes, que j’écoutais énormément de podcasts féministes, que je prônais une éducation féministe, mais que je ne transmettais rien de toutes ces idées dans ma pratique d’enseignante ! Et pour cause, je n’avais aucun outil à ma disposition et encore moins pour les enfants de maternelle. J’ai donc eu envie de créer un podcast pour diffuser des rencontres auprès d’instituteurs et institutrices, philosophes, auteurs et autrices, parents, sur l’idée d’égalité et mettre en valeur leur travail, leur quotidien trop souvent dénigré, chercher des pistes de travail concrètes à mettre en place dans les écoles maternelles autour de l’idée de l’égalité des genres. Trois ans plus tard, j’ai réalisé plus d’une trentaine d’interviews !
Ce que j’adore dans vos podcasts et dans vos ateliers Cocose, c’est votre douceur, votre parole sereine, qui vous permet de faire passer vos convictions et votre message d’ouverture avec force, sans compromis, et ainsi faire de votre travail un véritable outil pédagogique. Comment choisissez-vous vos invité·es et comment construisez-vous vos entretiens ?
Mon approche militante me donne beaucoup de force. J’avais en tête un vrai travail de recherche et je dois avouer que ma démarche était assez égoïste car j’avais envie d’aller rencontrer des personnes que j’aime et que j’admire, à qui j’avais plein de questions à poser. L’égalité fille/garçon figure dans les textes de loi et j’ai pu faire ce constat très porteur d’espoir : il existe plein d’initiatives qui visent à casser les stéréotypes de genre.
Cependant, si cette question ne devient pas une priorité pour les politiques, et qu’aucun budget n’est attribué pour former les professionnel·les et ainsi, lui donner de la visibilité, la route sera très longue… Alors, je fais ma part, et lorsque je lis un livre que j’aime, que je découvre une association ou un projet qui œuvre pour cette fameuse égalité, j’ai envie que tout le monde le lise, que tout le monde sache que telle initiative existe ! Cela m’a donné un prétexte pour rencontrer Aurélia Blanc (pour son livre Tu seras un homme – féministe – mon fils ! paru chez Marabout) ou encore Jeanne et Jean-Michel de l’association Dans le Genre Égales qui ont créé un spectacle de marionnettes incroyable pour sensibiliser les plus jeunes aux stéréotypes de genre. Bien entendu, je voulais transmettre des valeurs égalitaires, questionner les pratiques des enseignant·es, mais aussi de tous les adultes qui gravitent autour des enfants. Et inviter les élèves à se questionner, leur permettre d’avoir accès à un débat plus respectueux et plus humble.
Qu’est-ce qui vous a dissuadée d’accomplir cette mission dans le cadre de l’école ?
La question des valeurs féministes et égalitaires est centrale dans ma vie, mais quand je me rappelle ce dont j’ai parlé aux enfants en classe, je réalise que je ne leur ai parlé que d’hommes ! J’enseignais un monde d’hommes ! C’était comme s’il y avait deux Alison, une militante et l’autre, enseignante sans valeurs. Je crois que le lien n’a pas été fait au cours de mes études, et que j’avais la croyance que j’allais enseigner dans une société égalitaire, sans qu’il y ait de vrai effort à fournir (rire…). Cela étant dit, ma colère vis-à-vis de l’institution est passée et j’ai vraiment envie de retrouver les enfants !
Dans chacun de vos épisodes, il est question de livres ! Vous interrogez toujours vos invité·es sur le livre qui leur permettrait d’illustrer leurs idées, le livre qui les accompagne. Quelle place ont les livres dans votre travail ?
Les livres ont une place incroyable, tant dans ma vie personnelle que professionnelle. Dans mon travail avec les élèves, ils sont au cœur des apprentissages. J’avais instauré le quart d’heure de lecture par jour. Je trouve que c’est la manière la plus ouverte de transmettre. Cela permet de s’évader, de s’identifier, surtout avec les élèves de maternelle qui n’ont pas forcément encore la possibilité de s’exprimer. Et puis, c’est facile, tous les enfants aiment les livres ! Dans mon travail de recherche, je lis par ailleurs beaucoup d’essais, de romans, de bandes dessinées qui permettent de donner un accès à ce questionnement autour de l’égalité à toutes et tous.
Forcément, j’ai envie de vous demander votre biblio idéale !
Question difficile, mais s’il devait n’y en avoir que trois, je citerais Le petit illustré de l’intimité de Mathilde Baudy et Tiphaine Dieumegard, chez L’atelier de la belle étoile, La révolte des cocottes d’Adèle Tariel et Céline Riffard, chez Talents Hauts et Entrer en pédagogie féministe d’Audrey Chenu et Véronique Decker, chez Libertalia. Je fais le lien avec une idée qui revient de façon récurrente dans vos podcasts : « utiliser les bons mots », notamment pour nommer les parties du corps.
En quoi utiliser les bons mots est-il un outil important dans votre quête de questionnement des stéréotypes de genre ?
Mon questionnement autour de l’égalité des genres m’a fait prendre conscience de l’importance de l’éducation à la vie affective et sexuelle dès le plus jeune âge. Nommer les parties du corps, y compris les plus intimes, avec les mots scientifiques permet de s’assurer que tous et toutes parlent de la même chose, de se faire comprendre afin de se protéger et pouvoir être soigné·e si besoin. Surtout, cela permet d’être beaucoup plus inclusif.
Finalement, quel est l’enjeu de votre travail autour des stéréotypes de genre ?
Obtenir une vraie égalité des chances entre toutes et tous. Pour ma part, je me suis beaucoup questionnée et je souhaite amener les enfants à se questionner. Les enfants grandissent avec beaucoup de règles et les déconstruire est un gros challenge. Je constate cependant que les enfants veulent l’égalité et je rencontre souvent des parents désespérés qui élèvent leurs enfants en essayant d’éviter les écueils des stéréotypes de genre et qui pourtant ont des enfants qui répondent à 100% de ces stéréotypes ! Il faut comprendre que nous évoluons dans un monde plein de stéréotypes de genre, et que les enfants ont un besoin immense de s’identifier, de comprendre les enjeux. Il est normal que beaucoup aient besoin de répondre aux attentes du groupe auquel ils s’identifient.
C’est notamment à l’école de montrer les chemins des possibles. On peut correspondre à certains stéréotypes et cela peut être très adapté pour certain·es, mais l’important est d’ouvrir les questions pour les autres •